Le 31 août marquait le commencement de ce qui allait être, à Lyndis, une révolution. Des millions de téléspectateurs, les yeux rivés sur leurs écrans, observaient sans en louper une miette le débat qui opposait les représentants de la Ligue, nouvellement arrivés dans la région, à Sirius, le leader masqué de la Team Prisme. Toutes les plus grandes chaînes de télévision et de radio du monde couvraient l'événement.

Il faut dire que c'était un événement de taille. Autrefois, les terres de Lyndis étaient des terres sauvages particulièrement isolées. Leurs frontières escarpées, les conditions météorologiques aux larges de leurs côtes, leur difficulté d'accès depuis les autres régions du monde en avaient toujours fait une zone mal aimée par tous les explorateurs du globe. Et pourtant. Un jour, surgissant de nulle part, cet énergumène était apparu. Sirius, se présentant au monde comme un entrepreneur de génie avec un rêve et une fortune inimaginable, avait annoncé officiellement son projet de coloniser ces terres. Pour ce faire, il avait besoin de main d'oeuvre qu'il était prêt à payer grâcement.

Au début, évidemment, tout le monde avait pris cela à la plaisanterie. Un millionaire excentrique dissimulant son identité derrière un masque blanc et un pseudonyme ridicule et qui promettait monts et merveilles aux spectateurs via des spots publicitaires peu élégants, personne n'y croyait. Et pourtant...

Bien que personne n'y cru, il y avait toujours des gens désespérés, dans le besoin, qui voyaient cette promesse comme une opportunité, et qui décidèrent de franchir le pas, d'appeler le numéro téléphonique donné sur ces spots. Puis le bouche à oreille fit son effet. Jour après jour de plus en plus d'individus, jusque là criblés de dettes, revenaient voir leurs voisins les poches pleines d'argent. Leurs crédits étaient remboursés, les frais d'hospitalisations de leur familles effacés, et l'on pouvait voir devant chez eux de nouveaux véhicules flambants neufs qui rendaient jaloux le plus riche des  Crésus. Et quand on les interrogeait sur cette soudaine et miraculeuse rentrée d'argent, ils n'avaient qu'une réponse aux lèvres : Je me suis enrolé dans la Team Prisme.

Ce qui n'était alors qu'une blague devint un raz de marrée. Les bureaux de la Team croulaient sous les demandes d'embauche. Et si le procésus s'avérait de plus en plus long et fastidieux, tous ceux qui se présentaient étaient acceptés et envoyés sur les chantiers de Lyndis pour préparer le terrain à une erre nouvelle.

Evidemment, la Ligue pokémon, cet organisme gouvernemental qui surveillait le monde d'un oeil inquisiteur, voyait ce prophète multi-milliardaire d'un oeil sceptique. Qui était-il et d'où tirait-il sa fortune? Aucun registre, aucun document, aucune explication ne justifiait ni son apparition ni ses miracles. En dépit d'enquêtes plus poussées les unes que les autres, ils ne purent rien trouver qui incriminerait ou rendrait Sirius suspect de quelque méfait que ce fût. Ils furent contraint d'abandonner cette chasse aux sorcières, l'opinion publique commencant à peser trop lourd contre eux.

Ce qu'ils n'étaient pas prêts à abandonner, en revanche, c'était le controle des nouvelles terres de Lyndis. Depuis aussi longtemps qu'elle existait, la Ligue Pokémon avait assuré le maintien de l'ordre et de la loi dans les régions où elle sévissait. Son but était de protéger la population, de représenter un bras armé uni et solide contre les assauts répétés des Teams qui avaient frappé le monde encore et encore au fil des ans. Laisser une nouvelle région sans surveillance, c'était s'assurer d'ouvrir l'accès au prochain criminel qui voudrait bien s'y installer.

Telle était la raison de leur présence, ce soir là, assis autour d'une longue table ovale, face à Sirius et ses Admins. Pour parlementer avec ces cinq leader au charisme certain, 5 officiels, dont deux champions, avaient été dépéchés sur place. Leurs conditions étaient simple : Sirius pouvait continuer d'offrir des emplois et de rendre Lyndis accessible au monde, à l'unique condition qu'il accepte d'être rattaché officiellement et juridiquement aux administrations de la ligue. Il devait dès lors alligner ses taxes, ses modèles financiers et ses structures mécaniques à celles du reste du monde.

Après un débat houleux, ponctué de punch-lines bien senties de la part de Sirius, qui ne manquaient jamais de provoquer l'hilarité partout chez qui n'était pas son opposant, le porte-parole de la Ligue tappa du point sur la table :

"Monsieur Sirius, Il suffit! Je ne me répéterai pas d'avantage! Acceptez les termes et la juridiction de la Ligue, ou soyez prêt à en payer le coût."

Un silence de plomb s'installa sur la scène. Plus personne ne riait. Sirius, silencieux, se leva, et regarda la liasse de papiers administratifs qu'on attendait qu'il signe. D'un geste désinvolte il dégagea le pan de sa cape ornée de losanges multicolores et saisit les documents. Son visage masqué se posa sur son interlocuteur, et pour la première fois depuis le début du débat, il répondit sérieusement:

"Vous attendez de moi que je signe ces accords, sous la menace. Mais je n'ai rien à craindre de la Ligue. Je n'ai rien à craindre des Maîtres et des Champions. Et surtout je n'ai rien à craindre de vous, monsieur. Vous prétendez que ces accords ne sont que la promesse d'une juridiction unie et cohérente au sein de la Ligue; que vous faites cela pour la sécurité du peuple et pour le bien commun. Malheureusement pour vous, et bien que je n'en n'aie pas l'air, je sais comment vos bureaux fonctionnent. Et je sais lire entre les lignes."

Ses mains gantées de blanc tournèrent quelques pages avant de s'arrêter sur un alinéa juridique qu'il répéta machinalement.

"Contrairement à vous, je n'attends pas de nos spectateurs qu'ils comprennent ce dialecte bureaucratique. Parce que contrairement à vous je ne prends pas mes employés, mes concitoyens et mes amis pour des idiots. En me forçant à appliquer les taxes de la ligue et à m'aligner sur la logique des autres régions, vous me demandez en vérité une part colossale des revenus que je génère à Lyndis. Monsieur, savez-vous ce que je fais de mon argent, lorsque j'en possède? Je le distribue. J'engage des travailleurs que je rémunère gracieusement pour leur labeur. Je donne abondamment à des œuvres de charité à travers le monde. Mes comptes sont transparents, tout le monde peut en avoir la preuve."

L'officier de la Ligue lui rit au nez : "Transparent ? Ha! La bonne blague! Personne ne sait d'où il vient, tout cet argent!"

"Mais manque-t-il à qui que ce soit?" Demanda Sirius, moqueur. "Une banque, quelque part dans le monde a-t-elle été cambriolée? Des gens, où que ce soit sur terre, ont-ils disparus, ou signalé une disparition de leurs biens? Peu importe la nature de mes ressources, nos concitoyens n'ont cure de ces menus détails. Ce qui les intéresse, c'est que cet argent, aujourd'hui, circule, et leur permet de vivre une vie confortable, luxueuse et honnête, au prix d'un travail sincère."

Sirius détacha son regard de l'homme qui était confronté à lui, se tourna vers la caméra de la plus grande chaîne de télévision qu'il put spontanément trouver et brandit la pile de papiers qui lui avait été donnée :

"Cher télespectateurs. Si vous voulez une explication concrête de ce que la Ligue me demande, et si vous voulez savoir comment cela vous impactera, laissez-moi vous le dire en des termes simple : une baisse de vos salaires de 34% ; et une diminution de votre pouvoir d'achat de plus d'un quart de ce qu'il est aujourd'hui. Je refuse ces termes. Je refuse de signer cette blague. Je refuse de courber l'échine devant une Ligue dictatrice qui n'a pour ambition que de s'enrichir et d'étendre son pouvoir, alors que la mienne est de vous accompagner à la conquête de l'eldorado qui s'offre à nous!"

Ses deux mains saisirent la pile de documents, et d'un geste brusque, il les déchira tous d'un coup.

"Si vous êtes d'accord avec moi, alors envoyez un message clair à la Ligue!" Clama-t-il en haussant le ton, se retournant d'un coup sec pour pointer du doigt son adversaire: "Et ne les laissez pas vous priver de ce que vous avez mérité d'obtenir!!!"

Le brouhaha qui émana de la salle du débat ne fut rien en comparaison du chaos absolu qui suivit à l'extérieur. Aussitôt les rues furent remplies de dresseurs et de leurs pokémon qui s'en allèrent détruire les véhicules officiels de la Ligue, bruler les voitures qui s'étaient garés devant le lieu du débat, et foudroyer les avions qui étaient sensés ramener les émissaires chez eux. Les Champions présent eurent toutes les peines du monde à maintenir un semblant d'ordre et à empêcher le lynchage publique de leurs pairs.

Après cet incident, la Ligue accepta de laisser à la Team Prisme son indépendance. Sa seule condition fut qu'une Ligue pokémon encadrée soit présente à Lyndis afin de pouvoir protéger le peuple en cas de problème. Sirius n'y vit aucune objection. Les huit arènes, les bureaux de la Ligue et le Panthéon furent ouvert dans l'année qui suivit. Depuis, les deux clans vivent dans une entente toute relative. La popularité de la Team Prisme auprès du peuple compensant très largement les moyens humains et matériels dont dispose la Ligue sur cette région qui ne lui appartient pas.

Une guerre froide s'est installée. Une guerre économique, une guerre d'influence, d'idéologie. La stabilité et la sécurité du monde connu offerte par la Ligue s'opposant à la liberté et l'indépendance permises par les richesses de la Team Prisme.

Dans une région dont tous les mystères restent à explorer.